Dans cette communion en sixième mode transposée sur C, les mentions de bémols modifient la place du demi-ton et changent l’échelle mélodique.
Lorsque la pièce est écrite sur F, le demi-ton mi-fa est naturellement placé sous la finale. Cet intervalle est important car il détermine le sixième mode, notamment lors des mouvements cadentiels.
Dans le Graduel de Bellelay, cette communion est transposée à la quinte supérieure. Si cette transposition évite les bémols pour avoir la quarte juste au-dessus de la finale (Fa-Si bémol, Do-Fa), la présence de bémols (voir description) change les relations d’intervalles : le demi-ton mi-fa n’est plus placé sous la finale C mais sous le septième degré. Cette modification a plusieurs incidences. Tout d’abord, elle indique qu’il ne s’agit pas d’une transposition stricte de la mélodie sinon il faudrait sous-entendre la présence de Mi bémols lorsqu’elle est écrite sur F. Or ceux-ci sont évidemment absents, comme le montre le témoignage du Graduel de Saint-Yrieix (BnF 903, f° 247). Il s’agit donc d’une réinterprétation de la pièce à partir d’un dessin neumatique commun.
De plus, ces bémols peuvent altérer le caractère modal de la communion De fructu. L’enjeu consiste alors à déterminer leurs durées : ont-ils une incidence sur les mouvements cadentiels ?
Ces accidents apparaissent deux fois : la première sur -de terra et la seconde sur -in oleo.
-de terra, Graduel de Bellelay, feuillet 251
-in oleo, Graduel de Bellelay, feuillet 251
Lors de la solmisation de la pièce, tous deux supposent le changement d’hexacorde naturel à celui par bémol. Une première hypothèse pourrait indiquer que leurs effets s’achèvent lorsque la mélodie implique une nouvelle muance. Les fragments indiqués ci-dessous marquent donc les fins des passages où les Si sont chantés bémols.
-vinum letificet,Graduel de Bellelay, feuillet 251
-cor hominis, Graduel de Bellelay, feuillet 251
Les passages qui leurs font suite, situés sur des mouvements cadentiels, seraient alors chantés avec des « b carrés» (et ce jusqu’à la prochaine altération) respectant ainsi la modalité de la pièce en fixant le demi-ton sous la finale.
-hominis, Graduel de Bellelay, feuillet 251
-confirmet, Graduel de Bellelay, feuillet 251
Le Tonaire de Saint-Bénigne de Dijon (Montpellier, Faculté de Médecine H 159, f° 41v) donne une interprétation différente de la pièce. Elle aussi est transposée à la quinte supérieure et la notation alphabétique consigne très clairement la place des demi-tons dans la mélodie. Si elle suit en partie l’hypothèse énoncée ci-dessus, elle diverge en revanche sur la cadence finale où les si sont indiqués bémol.
-cor hominis confirmet, Tonaire de Saint-Bénigne de Dijon, f° 41
Il est donc difficile de fixer le rôle des bémols. Si les deux versions proposées sont majoritairement concordantes, elles divergent sur la cadence finale. Sans doute faudrait-il reconsidérer l’importance de la modalité et chanter des « b carrés » pour chacune des cadences, comme l’impliquerait la solmisation. Toutefois, rien ne permet de l’affirmer avec certitude comme le montre la version du Tonaire de Saint-Bénigne de Dijon.
Jocelyn Chalicarne